Veillée et contes d’antan.

les grands feux d’hiver

Les hivers chez nous ne sont plus ce qu’ils étaient. En janvier voici à peine la première neige et les premiers frimas. Au coin du feu chacun regarde silencieusement son portable et je me mets à regretter des temps anciens où les soirées d’hiver réunissaient le voisinage. La communication n’était pas un vain mot : histoires, contes, vin chaud, la veillée nous réjouissait. Lorsque les veillées se sont faites plus rares ou lorsque nous étions juste seuls au coin du feu, mon père nous racontait des contes qui nous faisaient rêver. Jacques et les haricots géants, Pierre l’Ours et tant d’autres ont subi bien des transformations grâce à la magie du conteur qui étoffait les merveilleux petits récits. La magie du conte a sûrement opéré sur nous. Je dois à ces moments précieux d’écoute au coin du feu, le goût des histoires et de la lecture que j’ai eu envie de transmettre à mon tour. Une génération plus tard ma fille a elle aussi été charmée par les contes que lui racontait son grand-père. Sa passion pour la lecture a sûrement aussi trouvé sa source dans ces moments magiques où l’imagination est en éveil.

Ainsi en ce jour de neige en cherchant un bon livre dans la bibliothèque, j’ai repris le cahier des belles rédactions écrites par Honoré Gisbert au cours de l’année scolaire 1940-1941 et prêté par mon amie la fille d’Honoré. J’ai déjà utilisé une de ces rédactions pour un article un récit précieux parlant déjà du dépeuplement de la vallée. Dans ces petits textes dont le sujet prenait toujours appui sur la vie locale, il a été facile de trouver un récit où le conte était à l’honneur.

Voici le sujet de la composition française proposé aux élèves en décembre 1940 à la petite école des Eycharts : Un voisin que vous connaissez bien vous a promis un joli conte pour ce soir à la veillée. Le repas du soir achevé, vite vous allez chez lui en dépit du froid vif. Autour du grand feu, la veillée commence et avec elle le conte tant attendu. Racontez cette agréable soirée.

Voici le récit d’Honoré alors âgé de 11 ans au centre de la photo entouré par ses parents

famille Gisbert

Jeudi dernier, mon voisin François m’a invité à aller veiller le soir même chez lui. Il m’a promis de me raconter un très joli conte. Aussitôt après le souper, je suis parti chez lui. Dehors l’air piquait le visage et un vent glacé soufflait. Comme il faisait froid et que j’avais hâte d’entendre ce merveilleux conte, je courus vite en trébuchant sur les cailloux dans les ténèbres. Arrivé devant la porte de la maison de François , je frappai et j’entrai aussitôt dans la maison en disant bonsoir, comme je frissonnais je pris une chaise et je m’approchai au coin de l’âtre à côté d’un grand feu de bois sec qui pétillait et flambait à grand bruit. J’allongeai mes mains pour les réchauffer car j’avais l’onglée. Le voisin s’approcha lui aussi et commença lentement en bourrant sa pipe le conte tant désiré. Moi j’écoutais attentivement. « Il était une fois, commence François, un jeune homme, fils du roi d’Afrique, qui était très riche. Il se trouvait dans un café et il était en train de jouer aux cartes avec un de ses camarades lorsque survint un homme grand et maigre. Cet homme dit au fils du roi s’il voulait bien jouer aux cartes avec lui. Celui-ci accepta. Le nouveau venu lui dit « Si tu gagnes la partie je serai ton serviteur ; mais si je gagne ce sera à toi à venir chez moi. » « Eh bien oui » dit l’autre qui se nommait Talins. La partie finie Talins dût partir d’ici trois jours chez l’autre qui était le diable déguisé en homme. Le jour du départ venu Talins se mit tristement en route très ennuyé de son aventure. Arrivé chez celui qui l’avait gagné il entra. On le fit asseoir, il soupa et partit dans sa chambre. Le lendemain le diable lui donna un sac plein de noyaux et de pépins et lui dit « Va sur la montagne voisine, sème tout ce qui est dans le sac et ce soir même rapporte-moi les fruits des arbres qui sortiront de terre. » « Impossible » se dit tristement le malheureux Talins et il partit. A midi, une fille de celui avec qui il avait joué lui porta le repas. « Pourquoi ne travailles-tu pas? » lui dit-elle. « Hélas c’est impossible ! » s’écria Talins. « Je vais t’aider reprit la jeune fille, sème tous ces pépins et ces noyaux jusqu’au bout de la montagne et ne te retourne jamais ». Le jeune homme obéit. Lorsqu’il eut achevé il vit et les arbres qui croissaient et la jeune fille qui faisait la cueillette des fruits. Cette fille était une sorcière. Elle repartit aussitôt et jusqu’au soir Talins s’occupa à cueillir et à entasser des fruits. Le soir même le jeune homme rapporta des fruits de toutes sortes à la maison où le diable dût se déclarer finalement vaincu. Le lendemain Talins s’enfuit en Afrique après avoir tué son hôte. Voilà maintenant le conte terminé dit François. Moi j’étais émerveillé. Je me chauffai encore un peu. Et comme je commençais à m’assoupir, je repartis chez moi content et joyeux de connaître cette belle histoire.

Cette veillée se passa au hameau des Barous à quelques centaines de mètres du Péré. Là habitait la famille Gisbert et à quelques maisons de là François Piquemal chez qui se rendit le petit Honoré. La maison de la famille Gisbert est aujourd’hui une coquette résidence secondaire, la maison de François une ruine en cours d’une laborieuse restauration. Toutes les maisons du village qui a compté jusqu’à cinquante habitants au début du XXe siècle sont des résidences secondaires.

François Piquemal et sa sœur derniers habitants des Barous avec la famille Gisbert

2 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. joel corinne Herrero dit :

    Coucou le Péré, Très émouvant article. Nous avons eu l’occasion de feuilleter le fameux cahier : encore plus émouvant qu’en on l’a dans les mains… Effectivement, nous n’avons pas eu la chance de connaître les veillées, mais cela devait être vraiment agréable. Au moins, il y avait de l’entente, de l’amour et du partage dans les familles… Merci de nous remémorer ces instants si précieux. Bizzzzzzz Corinne et Joël

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    1. Merci. Vous êtes très réactifs, je viens d’apporter quelques modifications. Je lis et relis, ôte des répétitions…

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